Ceci est un dossier réalisé en cours de Linguistique et conception de communication que j’ai suivi lors de mon année à Campus Tech, il était dirigé par Albin Wagener. J’ai choisi de parler du traitement de la crise du coronavirus par les membres du Gouvernement.
Le traitement de la crise du coronavirus par les membres du Gouvernement : qu’en est-il ?
Cette analyse de discours aura pour but de décrypter les discours des membres du Gouvernement de la République Française ainsi que ceux du Président de la République relatifs au traitement de la crise sanitaire du coronavirus.
Les discours prononcés sont capitaux car ils permettent dans le cas de cette crise sanitaire d’annoncer des mesures très importantes pour la situation des Français mais aussi de les informer pour faire face à ce cas de force majeur.
Les analyses chiffrées et schématiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Tropes.
Analyse d’un corpus de textes
1. Les discours étudiés
- Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur l’impact économique de l’épidémie de coronavirus, à Paris le 9 mars 2020.
- Déclaration de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre sur le Covid-19 au Ministère des Solidarités et de la Santé le 11 mars 2020.
- Déclaration de M. Edouard Philippe, Premier ministre, sur un point de situation concernant le niveau 2 de l’alerte de l’épidémie de Covid-19, à Paris le 6 mars 2020.
- Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur l’épidémie de coronavirus, à Paris le 12 mars 2020.
- Interview de Mme Florence Parly, ministre des armées, à France 2 le 4 mars 2020, sur l’épidémie de coronavirus dans l’Oise et le rapatriement de Français de Wuhan en Chine par des militaires de la base militaire de Creil.
- Interview de M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, à Europe 1 le 3 mars 2020, sur la fermeture de certaines écoles face au Coronavirus et l’annulation des voyages scolaires.
- Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, avec BFM TV le 6 mars 2020, sur l’épidémie de coronavirus.
- Interview de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, à BFMTV le 3 mars 2020, sur le niveau d’alerte face au coronavirus en France.
- Interview de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, à RTL le 25 février 2020, sur l’évolution du coronavirus en France et le maintien des événements collectifs.
- Interview de Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État, porte-parole du Gouvernement, à France Inter le 4 mars 2020, sur la crise du coronavirus en France.
2. Le contexte d’énonciation
Ces discours font tous directement référence à la crise du coronavirus : une pandémie du virus COVID-19 qui touche la France depuis février 2020. Ils ont été prononcés dans le cadre de points presse ministériels, d’allocution présidentielle ou d’interview dans les médias (les questions des journalistes n’ont pas été prises en compte dans l’analyse). Ces discours ont tous évidemment une forte dimension argumentative et lorsqu’ils ne sont pas parlés dans le cadre d’une interview, ils sont construits d’une introduction et d’une conclusion. Par ailleurs, mis à part le discours d’Emmanuel Macron, les discours (hors-interview) se terminent presque tous par « Je vous remercie ». En effet, ils s’adressent davantage à la presse qu’aux citoyens contrairement à la déclaration présidentielle retransmise en direct à la télévision qui se termine par « Vive la République ! Vive la France ! ».
Ces discours venant du Gouvernement se veulent tous rassurants, transparents et informatifs. L’objectif du Gouvernement dans ces discours est d’éviter les crises de paniques et la circulation de fausses informations, la diffusion d’informations (gestes barrières, consignes à suivre, mesures mises en place) ainsi que de publier les chiffres des victimes régulièrement : décès, contaminations, guérisons, etc. Pour cela, tous les moyens sont bons : l’utilisation des médias mais aussi l’allocution télévisée, qui permet de toucher un maximum de personnes en un temps très limité.
3. Les principaux termes utilisés
Les termes qui reviennent le plus souvent sont ceux relatifs à la santé : maladies, hôpital, épidémie, patients, contamination, médecin, etc. Ils sont particulièrement présents dans les discours d’Olivier Véran, Ministre des solidarités et de la santé ; ce qui est normal. Les termes renvoyant à la santé apparaissent 359 fois, le deuxième univers de référence n’apparaît « que » 187 fois. C’est donc autour du thème de la santé que tous les discours vont tourner, et ce de façon quasi unanime.
Autour du thème de la santé, ce sont plusieurs sous-thèmes qui ressortent particulièrement. On y retrouve notamment les mots se rapportant au temps : année, mois, semaine, jour, trimestre, période, date, etc. qui apparaissent 187 fois. Les thèmes de la France et de la politique sont également très présents : les mesures prises concernent avant tout les Français et elles sont prises par le Gouvernement qui fait partie de la classe politique. Par ailleurs les différentes entités de ce Gouvernement se retrouvent obligées de s’unifier pour pouvoir s’accorder et avoir la même parole en public. Dernier thème dont nous parlerons rapidement : celui du virus ; qui se trouve beaucoup dans les discours, mais pas forcément au premier plan, c’est davantage un support discursif indispensable.
4. Les relations entre les mots
Avec l’analyse de Tropes, la plupart des relations entre les mots sont logiques puisqu’elles forment des expressions telles que : Jean-Jacques Bourdin, geste barrière, hydro alcoolique, etc. Là où les relations deviennent plus intéressantes, c’est notamment la relation « virus » – « territoire » (apparaît 7 fois) et « virus » – « circulation » (apparaît 6 fois).
La première relation est évoquée pour dire qu’il faut empêcher que le virus atteigne le territoire (français) ou encore pour dire qu’il est effectivement présent sur le territoire.
La seconde relation évoquée est utilisée pour parler de l’évolution de la circulation du virus, mais aussi et surtout des méthodes à utiliser pour ralentir la « circulation du virus ».
5. Les catégories fréquentes
5.1. Les verbes
20,2% des verbes utilisés sont déclaratifs : vouloir, penser, dire, pouvoir, etc. Ils sont présents pour annoncer des volontés du Gouvernement, mais aussi des suppositions quant à l’évolution de la situation. Ils sont très associés aux Français, aux patients et au personnel médical.
5.2. Les connecteurs
La plupart des connecteurs utilisés sont des connecteurs de cause (17,3%) : en raison, donc, puisque, parce que, c’est-à-dire, etc. Ils connectent la plupart du temps des éléments d’organisation (possibilité, décision, organisation, contrainte) ou politiques (Russie, France, élections municipales) avec des mesures (gestes, moment, etc.), des chiffres et des termes correspondant au virus (épidémie, cas, nombre) mais aussi d’autres éléments politiques (système, Agnès Buzyn, rôle).
5.3. Les modalisations
La catégorie de modalisations que l’on retrouve le plus dans ce corpus de texte est le temps (présente à 17,7%). C’est par exemple des termes comme : lors, d’abord, à nouveau, aujourd’hui, avant, après, déjà, parfois, etc. Ils concernent surtout les Français, la France, le système de santé et le virus avec le système de santé mais aussi plusieurs termes relevant de la temporalité (semaine, jour, mois, soir).
5.4. Les adjectifs
Le type d’adjectif que l’on retrouve le plus est l’adjectif numérique (17,6% de tous les adjectifs). Ce sont donc surtout des chiffres qui sont cités. En effet, cette crise étant grave, le Gouvernement se doit d’être précis et transparent vis-à-vis de la situation. Là où l’on peut remettre en cause cette analyse, c’est que certains termes ne renvoient pas forcément à des chiffres en eux-mêmes mais à des appellations : « stade 1, stade 2, etc. » (nommé 21 fois) et « COVID-19 » (nommé 5 fois). Dans les termes en amont des adjectifs numériques, on retrouve des lieux géographiques (villes, pays, région), des mesures (confinement, stock, combinaison) avec des notions temporelles (jour, mois, année, etc.), des victimes (malades, patients, épidémie, gens).
5.6. Les pronoms
Les pronoms les plus évoqués sont « Je » (23,9%), « Nous » (18,9%), « On » (14,5%), « Vous (12,1%) et « Ils » (5,1%). Si le « Je » est si évoqué ce n’est pas tant parce que les membres du Gouvernement sont égocentriques mais aussi parce que dans certains discours ils sont interviewés, cela veut donc dire qu’on leur pose des questions concernant leur avis sur tel ou tel sujet. Dans le cadre des interviews, il est utilisé surtout en début de réponse, juste après que le journaliste ait posé sa question. Le « Nous » est également très évoqué puisqu’il permet de porter la parole du Gouvernement ; lorsqu’un des membres parle en disant « nous », il porte la parole du Gouvernement, comme c’est le cas évidemment avec Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État et porte-parole du Gouvernement. De même que pour le « Je », le « Vous » est utilisé en début de réponse juste après une question d’un journaliste. Concernant le « Vous », il est partagé entre deux cibles : les citoyens Français et l’interlocuteur en face de l’énonciateur (dans le cas des interviews). Ils sont utilisés pour s’adresser directement à la ou les personnes concernées afin de leur donner des informations, mais aussi de les rassurer : « vous protéger », « vous soigner », etc.
5.7. Les substantifs
Les mots sont très importants, notamment dans les situations de tension comme celles-ci. Parmi les mots que l’on retrouve le plus, il y a tous ceux se rapportant directement au virus : épidémie, santé, coronavirus ; ceux par rapport à la santé : malade, hôpital, situation, masque, main, etc. ; ceux se rapportant à la politique : territoire, stade, décision, pays, etc. Il n’y a cependant pas de réelle « surprise » dans les mots employés, tous se rapportent clairement à la crise sanitaire et aux mesures prises.
5.8. Le style
Avec l’analyse de Tropes, on se rend compte que la prise en charge est centrale dans ces discours. En effet, le logiciel indique les « Prise en charge par le narrateur » ainsi que les « Prise en charge à l’aide du « Je » ». Cela renvoie directement à ce qui a été conclu plus tôt, à savoir que le Gouvernement s’adresse directement aux Français dans l’optique de les rassurer et de les informer. Cela passe par parler de l’action dudit Gouvernement, de ses volontés et de ses prévisions.
Analyse de texte
Le texte qui sera analysé est Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur l’épidémie de coronavirus, à Paris le 12 mars 2020. Il a été prononcé un jeudi à 20 heures en direct sur plusieurs chaînes de télévision nationales et sur Internet. Dans cette allocution, la principale mesure prise par le Président de la République est la fermeture de tous les établissements scolaires à partir du lundi 16 mars. Par ailleurs, il a invité toutes les personnes âgées de plus de 70 ans, celles souffrant de maladies chroniques ou de troubles respiratoire ainsi que celles en situation de handicap de rester autant que possible chez elles. Au jour de la prononciation de ce discours, le virus touche déjà quelques milliers de personnes et en a tué des dizaines.
Ce discours a été produit dans l’optique d’informer le plus de Français le plus rapidement possible (diffusion sur un maximum de supports médiatiques en direct) afin de leur annoncer et de leur expliquer les mesures qui vont être mises en place. L’objectif est de faire respecter les consignes à tout le monde en expliquant les enjeux liés à la propagation du virus mais aussi à ce que chacun peut faire pour limiter ce dernier. Les mots choisis sont donc simples, les phrases courtes. C’est insolite pour la personne qu’est Emmanuel Macron, réputé publiquement pour être quelqu’un qui prenne son temps, qui fait de longues phrases mais aussi qui utilise des mots du « vieux français ».
1. Le style
Cela se confirme dans ce qui ressort directement du logiciel Tropes quand on y ouvre la retranscription du discours : la mise en scène est qualifiée de « dynamique, action », on retrouve un style argumentatif comme pour l’ensemble du corpus analysé. De plus, c’est directement Emmanuel Macron qui parle à tous les Français via la prise en charge par le pronom « Je ».
2. Les principaux thèmes évoqués
Les trois thèmes qui ressortent le plus souvent sont :
- « santé » (76 fois) : épidémie, sanitaire, santé, hôpital, soignant, soin, malade, etc.
- « temps » (52 fois) : semaine, siècle, jour, mois, matin, lundi, etc.
- « politique » (31 fois) : compatriotes, Premier Ministre, Gouvernement, ministres, etc.
3. Les verbes
47,7% des verbes du discours sont « factifs », ils s’appuient sur des faits. A de très nombreuses reprises, Emmanuel Macron s’appuie sur des faits et uniquement sur des faits. Cela peut être des faits que se sont passés, qui sont en cours ou qui vont se passer.
4. Les connecteurs
64,2% des connecteurs présents sont des adjectifs d’addition, ils sont là pour appuyer le propos de l’énonciateur en en « rajoutant une couche ». Cela passe par des connecteurs très simples comme « et », « aussi », « puis », etc. Emmanuel Macron se veut donc très grave dans son discours.
5. Les modalisations
46,6% des modalisations sont « d’intensité », c’est-à-dire qu’elles ont comme pour les connecteurs pour objectif d’appuyer le discours via des mots simples encore une fois : « tous », « en particulier », « très », « plus », « beaucoup », etc.
6. Les adjectifs
60% des adjectifs sont du subjectif : ils renvoient à une vision propre au Gouvernement, les adjectifs utilisés par celui-ci ne sont pas forcément ceux utilisés par les médias ou même les citoyens. Quelques exemples : « absolu », « strict », « exemplaire », etc.
7. Les pronoms
Comme dit précédemment, Emmanuel Macron utilise beaucoup le « Je » dans son discours, mais également le « Nous », qui est davantage présent (28,9% contre 26,1% du « Je »). Il y a cependant une dualité dans ce « Nous » :
- Il l’utilise pour parler du Gouvernement et de lui-même, de l’action qu’il a entreprise et de celle qu’il va entreprendre
- Il l’utilise pour parler de tous les Français et lui-même, de leurs valeurs communes
Contre-argumentaire
Dans la parole du Gouvernement, il manque peut-être une chose : la reconnaissance. La reconnaissance de ne pas s’être réellement bien préparé à l’arrivée du coronavirus en France. Agnès Buzyn, ex-Ministre de la santé s’est confiée au journal Le Monde, elle a déclaré aux journalistes qu’elle était au courant de l’ampleur que prendrait l’épidémie qui sévit en ce moment-même sur notre territoire. En effet, le 11 janvier, elle a envoyé un message au Président de la République pour l’alerter sur la situation à venir. De même le 30 janvier à Edouard Philippe, qu’elle a avertit du fait que les élections municipales ne pourraient sans doute pas avoir lieu.
Si elle a quitté son poste à un moment très important, ce n’est pas de son plein gré. Elle raconte avoir reçus énormément de messages de la part de membres du mouvement LREM pour la convaincre de se présenter en tête de liste à la municipalité de Paris alors que la campagne de Benjamin Griveaux s’était effondrée. Si Agnès Buzyn est une femme politique, elle est avant tout hématologue, professeure des universités et praticienne hospitalière ; quelle est sa meilleure place : Ministre des Solidarités et de la Santé ou maire de Paris ? Si elle reconnaît l’expertise de son successeur Olivier Véran, elle prédit d’un autre côté des « milliers de morts » en France.
Un autre aspect de la reconnaissance absent dans tous ces discours, c’est celui du corps enseignant. En effet, Si toutes les personnalités politiques du Gouvernement actuel s’accordent à dire que le corps hospitalier est un héros et que chaque personne qui le compose est d’un courage extrême, aucun ne disait ça il y a encore deux mois. Chacun souhaite remercier les médecins, les infirmiers, les aides-soignants, etc. Il faut cependant rappeler que l’hôpital public est « en grève » (entre guillemets car il n’a pas réellement le droit de grève) depuis plus d’un an, en crise face à un manque de personnel, un manque de moyen, mais aussi et surtout un manque de reconnaissance. C’est par la reconnaissance d’un service tel que le soin en France que passe le déblocage de moyens, de matière et de personnel. Les conditions de soin se sont dégradées peu à peu, ce qui représente un danger tant pour le personnel que pour les patients. Récemment, plus de 1 200 responsables hospitaliers ont symboliquement jeté leur blouse mais aussi leur travail pour protester contre cette situation alarmante. Un geste qui s’explique par le fait que c’était la seule solution pour ces personnes.
Finalement, le fait de remercier toutes ces personnes permet au Gouvernement de les responsabiliser, de les encourager, les mettre dans de bonnes conditions psychologiques pour qu’ils travaillent sans relâche et ceci jusqu’à la fin de cette crise sanitaire. Ce n’est pas en leur disant des mots doux que ce Gouvernement va réellement aider toutes les personnes travaillant en ce moment-même dans les hôpitaux. Dans toutes les paroles relatives aux hôpitaux, il n’y a pas de mesure chiffrée, autant dire pas de mesure prise ou qui va être mise en application ; toutes ces paroles sont en fait des paroles en l’air qu’on dit comme ça.
Enfin, dernier aspect de la « reconnaissance » : celui des municipales. En effet, organiser les municipales alors même qu’une ministre des solidarités et de la santé avait prévenu le Gouvernement quant au danger que cela représente, c’est de l’irresponsabilité. Dans les discours analysés précédemment, aucune des personnes qui les ont énoncés n’ont reconnu les dangers d’organiser des élections municipales alors même que le coronavirus touche de plus en plus de personnes et ce de façon exponentielle.
Conclusion
L’analyse de tous ces discours nous montre plusieurs choses. Tout d’abord, on assite à des discours du Gouvernement qui se veulent rassurant mais à la fois alarmistes : le point le plus important, c’est la responsabilité de chacun. Si tout le monde respecte les consignes que ce Gouvernement donne, tout se passera bien. Des discours qui se veulent aussi transparents, avec beaucoup de chiffres, de faits, sans forcément d’habillage rhétorique explicite. En effet, dans les allocutions publiques, les membres du Gouvernement se veulent très simples dans leurs explications, le but étant de se faire comprendre par un maximum de personnes le plus rapidement possible, ce qui explique les interventions télévisées par exemple.
Des éléments discursifs qu’on retrouve évidemment dans le discours d’Emmanuel Macron le 12 mars à 20 heures. La seule différence est que pour ce discours, le Président de la République s’adresse directement aux Français, en demandant la solidarité nationale et en voulant être très proche de ses concitoyens via l’emploi de pronoms qui le concernent directement : « Je », mais aussi qui concernent tous les Français : « Nous ».