Dans le cadre de ma deuxième année de master Médias, Langages et Sociétés à l’Université Paris Panthéon-Assas, j’ai rédigé et soutenu un mémoire de recherche dans le domaine des sciences de l’information et de la communication. Mon sujet portait sur les tests de produits dans la presse tech en ligne en France, plus particulièrement sur les contraintes qui pèsent sur les journalistes ainsi que les stratégies dont ils usent pour tenter de s’en défaire. Il a été dirigé par Tristan Mattelart ainsi que par Jean-Baptiste Legavre. Le voici en accès libre.
Il fait suite à mon précédent mémoire qui portait sur les phénomènes de concentration de la presse tech en ligne en France, soutenu à l’Université Paris-Nanterre.
Tests de produits dans la presse tech : comment ça fonctionne et le résumé détaillé
Résumé du mémoire
Ce mémoire porte sur la presse écrite en ligne dédiée aux nouvelles technologies en France, plus particulièrement sur les médias qui publient régulièrement des tests de produits (smartphones, ordinateurs, casques audios, etc.). Un contexte qui n’a pas été beaucoup exploré par la recherche en sciences de l’information et de la communication, y compris dans la littérature anglophone. La recherche se concentre sur les contraintes de production rencontrées chaque jour par les journalistes spécialisés au travers d’entretiens avec quelques-uns d’entre eux. Elle examine comment sont testés les produits selon les rédactions : quels produits sont testés et quels produits ne le sont pas, comment le sont-ils (techniquement, à l’usage), comment sont-ils notés, comment sont-ils éditorialisés. Enfin, ce mémoire de recherche explore également le rôle des agences de relations presse dans le travail journalistique du test de produits : quelles sont les pressions qu’elles arrivent à exercer, mais aussi comment les journalistes arrivent-ils à les desserrer, pour conserver leur indépendance.
Le choix du sujet
La presse écrite en ligne dédiée aux nouvelles technologies a peu été étudiée par les sciences sociales, y compris en sciences de l’information et de la communication. C’est aussi un sujet qui m’intéresse particulièrement : je fais partie d’une grande rédaction du secteur et je teste moi-même régulièrement des produits. C’était l’occasion pour moi de m’interroger sur ma propre pratique et de compléter la recherche là-dessus. Je ne sais pas si c’est un avantage ou un inconvénient, c’est probablement un peu des deux. C’est en quelque sorte un sujet annexe à mon mémoire de l’année passée, mais cette fois-ci sur les tests de produits.
Le cadre du sujet
La recherche a porté sur les médias écrits en ligne en France dédiés aux nouvelles technologies, surtout ceux qui ont le plus d’audiences, qui ont une ligne éditoriale avec une approche grand public de son sujet et qui publie régulièrement des tests de produits. Elle s’est précisée sur les smartphones, puisque c’est une catégorie indispensable pour beaucoup de médias (nombre de médias, quantité de tests) et que c’est une catégorie complète d’un point de vue éditorial et technique. C’est pourquoi il existe des journalistes spécialisés dans plusieurs rédactions.
Le mémoire s’intéressait donc plus particulièrement aux contraintes qui pèsent sur les journalistes, qui sont plurielles. Il y a celles systémiques à tous les médias, mais je me demandais s’il n’y en avait pas de spécifiques pour la presse tech. Je me suis demandé comment étaient testés les produits que nous achetons par les médias, quels protocoles sont mis en place, comment sont décidées les notes, les qualités et défauts. La question qui tue également : est-ce que les journalistes sont payés par les marques pour attribuer une bonne note ?
Pour répondre à tout cela, j’ai étudié comment parlaient publiquement les journalistes de leurs tests, mais aussi fait passer des entretiens à neuf d’entre eux, issus de plusieurs rédactions, pour la plupart spécialisés dans les smartphones. Je n’ai eu que des réponses positives, personne n’a refusé : c’est du fait de ma position par rapport à mon sujet, puisque ce sont des confrères et qu’ils me font confiance. Cela m’a aussi permis durant l’entretien de savoir comment réagir, savoir quelles questions poser, demander des précisions sur des exemples précis.
Les tests de produits dans la presse tech : comment ça fonctionne
Choix des produits et temporalité des tests de produits
Le test de produit est un exercice assez routinier, à cause d’une industrie routinière : les journalistes savent la plupart du temps à quoi s’attendre et ça les aide dans leurs tests de produits. Ils peuvent arriver à identifier certains points forts et points faibles de produits simplement en regardant la fiche technique. Le fait de tester tout au long de l’année des produits de différentes gammes et marques est perçu par les journalistes comme une force, même s’ils n’achètent pas les produits qu’ils testent.
Ce qui est important, c’est le choix des produits : tout ne peut pas être testé. Les journalistes privilégient ainsi les produits qui sont les plus susceptibles d’être bons : c’est pourquoi ils se tournent souvent vers le haut de gamme, vitrine technologique pour les marques. Ce sont les produits les plus intéressants et les tests sont lus y compris par des internautes qui n’achèteront pas ces produits. Il y a aussi l’influence du SEO et des audiences : on teste ce qui est le plus recherché/acheté. Mais la plus grande influence, c’est celle des marques, qui contrôlent en quelque sorte l’agenda médiatique avec leur calendrier de sortie et leurs parts de marché.
D’ailleurs, puisque souvent elles prêtent les produits, elles peuvent décider d’envoyer aux journalistes les meilleures versions : les plus jolies, les plus performantes, afin d’influer sur le test. Ce qui fonctionne auprès de certains journalistes qui s’en contentent : c’est le cas dans plusieurs rédactions. Il peut y avoir des difficultés à accéder aux produits : les prêts sont au bon vouloir des agences de presse et l’achat (avec le renvoi) n’est pas du tout systématique puisque certains médias n’achètent jamais de produits.
Protocoles et notations : des philosophies de tests de produits différentes, qui peuvent se compléter
Chaque média dispose de son propre protocole de test, avec principalement deux axes, qu’on ne trouve pas systématiquement à chaque fois :
- L’axe technique : des mesures réalisées sur les produits et commentées, mises en perspective avec des produits précédents ou concurrents ;
- L’axe d’usage : un retour d’expérience du journaliste de son usage et de son ressenti, mis en perspective avec des produits précédents ou concurrents
Des protocoles qui sont façonnés par les journalistes au fur et à mesure. En fait, ils sont partagés entre deux objectifs :
- Avoir un protocole qui évolue au fil des évolutions technologiques pour rester à la page
- Avoir un protocole qui n’évolue pas trop pour avoir une certaine cohérence entre les tests
Avec des changements de rédactions, des recompositions dans les groupes, les tests de produits peuvent se ressembler entre les médias, du moins les points notés sur chaque produit ainsi que la construction des tests.
Dans les contraintes liées aux mesures techniques, il y a les contraintes financières, de ressources humaines, de temps, ou simplement les bugs informatiques. C’est pour cela que trois rédactions disposent d’un “laboratoire”. Chez 01net et L’Eclaireur Fnac, ce sont des équipes spécialisées qui en sont en charge ; chez Les Numériques, cela se matérialise plutôt par des espaces dédiés, mais ce sont les journalistes qui réalisent les mesures techniques. Le “laboratoire” représente alors un gage de rigueur, tant auprès des marques qu’auprès des lecteurs. Ils peuvent même publier leurs propres articles.
L’autre élément important, c’est la notation. Souvent, elle est laissée aux journalistes : ce sont eux qui décident des notes. Elles sont très souvent complétées par des sous-notes dédiées à un élément d’un produit, et par des points forts et des points faibles. Mais chez Les Numériques et 01net, une partie de la notation est décidée par les mesures techniques : les journalistes n’ont alors pas la main dessus totalement. La notation, comme le protocole, doit allier actualité et cohérence.
Les « relations presse » : la plus grande contrainte pour les journalistes
La plus grande “contrainte” selon les journalistes se retrouve tout au long du test : du choix du produit jusqu’à après la publication. Il s’agit des relations entre médias et agences de relations presse/marques, selon le fonctionnement des constructeurs.
Les deux acteurs sont des “associés-rivaux” :
- Ils n’ont pas les mêmes intérêts dans ce qui doit être publié…
- Mais ont des intérêts croisés : la relation doit se dérouler au mieux
Les uns ont besoin des autres pour exister et vice-versa, dans un contexte de rentabilité économique. Les journalistes sont d’ailleurs des “competitor colleagues” : ils s’aident très souvent alors qu’ils font partie de rédactions concurrentes. C’est lié au fait que tous se connaissent et que beaucoup d’entre eux sont passés par plusieurs médias ; d’autant plus qu’ils ne s’intéressent pas vraiment, selon eux, aux sources de financement de leurs médias. Dans un contexte de concentration de la presse tech française pourtant, la concurrence se fait plus rude. Il y a la concurrence entre les rédactions spécialisées, mais aussi avec les médias plus généralistes qui peuvent publier les tests de produits, ainsi qu’avec les influenceurs, qui prennent une part grandissante des budgets publicitaires et auprès des représentants de presse.
Les journalistes peuvent subir des formes de pression de la part des marques : s’ils ne s’accordent pas, cela peut avoir des conséquences sur leur travail. Ils dépendent des marques pour les prêts de produits, ont la pression d’arriver les premiers sur le test et font part de pressions implicites : ils doivent nouer de bonnes relations pour avoir les informations/produits à l’avance. Le tout en gardant un équilibre entre relations personnelles et professionnelles. Le pic de tout cela, ce sont les voyages de presse : ils sont perçus comme un privilège et les journalistes tentent d’avoir une forme de recul dessus, bien qu’ils reconnaissent que cela puisse les influencer. Ils doivent en fait faire face à un dilemme moral.
Que retenir ?
Au sein de la presse tech, il y a plusieurs contraintes qui existent dans le reste de la presse “lifestyle” :
- La dépendance à l’industrie couverte, notamment dans la dépendance aux prêts de produits
- La question des voyages de presse qui sont perçus comme un privilège et qui peuvent influencer les journalistes
- La pression temporelle, la “course à la primeur”
- La précarité du métier de journaliste et la concentration de la presse tech
Il y a aussi des contraintes spécifiques à la presse tech :
- Les protocoles de test : la difficulté à les rendre techniques, le devoir d’être actuels et cohérents à la fois
- La notation
La principale limite de la recherche : pas d’analyse de contenus de tests. Les articles de tests pourraient transmettre les contraintes qui pèsent sur les journalistes sous diverses formes. Mais il y a aussi le fait de ne pas avoir interrogé suffisamment de journalistes : nous aurions pu interroger plusieurs journalistes d’une même rédaction ainsi que des journalistes issus de plus de médias, notamment des médias plus “confidentiels”.